À première vue, il peut paraître paradoxal que le concept de « catastrophe naturelle » se définisse autant par l'élément humain que par celui de la nature : la gravité d'un tel événement se mesure en effet au nombre de morts et au coût des dégâts subis ; c'est l'impact dévastateur sur les infrastructures et l'habitat humain qui constitue d'ordinaire un critère décisif pour qu'un événement géologique ou météorologique soit considéré comme une « catastrophe naturelle ». Singulièrement, un volcan qui entre en éruption dans une région déserte, un tsunami qui submerge une île inhabitée – sans causer de décès ni de dégâts chiffrables – ne seront pas inscrits dans cette catégorie d'événements tragiques.
Or, non seulement les distinctions apparemment si nettes entre « nature » et « culture » ont été profondément remises en question ces dernières décennies (Descola 2005), mais il est maintenant évident qu'il existe une responsabilité humaine pour nombre de phénomènes naturels à fort potentiel destructif, liés au changement climatique : sécheresses, inondations, avalanches, éboulements, etc.
Dans le contexte de la réévaluation récente de ce qui définit une catastrophe naturelle, cette communication analyse les discours politiques et médiatiques allemands et autrichiens qui ont suivis deux événements ayant frappé l'Europe centrale en 2000 et 2002. Il s'agit d'une part de la rupture d'un barrage en Roumanie à l'origine d'un déversement de déchets miniers (cyanure et métaux lourds) dans des champs et rivières, entraînant de sérieux dégâts environnementaux, économiques et sanitaires, dans plusieurs pays. Cette catastrophe de Baia Mare du 30 janvier 2000 a certes été attribuée à des causes « naturelles » (importantes chutes de neige suivies d'une montée brusque des températures et d'un dégel inattendu), qui furent mises en avant par les industriels miniers, montrés du doigt à leur tour par des associations environnementales et par l'opinion publique. Deux ans plus tard, en août 2002, des inondations ravagèrent les bassins fluviaux du Danube et de l'Elbe, provoquant plus de 100 morts et des destructions massives ; phénomène transfrontalier à nouveau, qui concerne cette fois l'Allemagne et l'Autriche directement, mais pour lequel les responsabilités sont plus difficiles à établir.
Dans les deux cas, il s'agira de dégager les principales argumentations qui ont accompagné les réactions en Allemagne et en Autriche, d'analyser les métaphores utilisées et les conséquences politiques attribuées à ces deux catastrophes, proches dans l'espace et le temps, mais bien distinctes selon d'autres aspects.
La période choisie, le tout début du XXIe siècle, a été retenue parce qu'elle voit naître le concept d'Anthropocène, en 2000 précisément (Bonneuil & Fressoz 2013, 17), et qu'elle est donc caractérisée par une prise de conscience croissante de la responsabilité humaine envers les catastrophes naturelles. S'il est vrai que notre âge est devenu celui de « la nouvelle question géo- sociale » (Latour 2017, 83), il sera particulièrement intéressant d'évaluer l'impact de ces idées sur les commentaires immédiats et, à plus forte raison, sur les analyses rétrospectives qui ont accompagné les réflexions sur ces catastrophes dans les deux décennies qui suivirent.
Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L'évènement anthropocène : La Terre, l'histoire et nous. Seuil, 2013.
Philippe Descola, Par-delà nature et culture. Gallimard, 2005.
Bruno Latour, Où atterrir ? Comment s'orienter en politique. Éditions La Découverte, 2017.